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Gorze,
novembre 2006
Chers
Amis,
Avec le mois de novembre, nous entrons dans la saison noire de l’année…
La nature se meurt et nous entraîne à nous asseoir dans nos
ténèbres et à l’ombre de notre propre mort
(Lc 1,79). C’est ce à quoi nous invite la liturgie des défunts
dès le début de ce mois. Il faut accepter, jour après
jour, de descendre jusqu’au point extrême de notre nuit et,
alors, ce sera Noël : illumination de tout notre être, renaissance
en Christ. Mais jusque là, 40 jours nous préparent. C’est
le temps de l’Avent, celui de l’exercice (« ascèse
»), où, par une lente germination, nous essayons d’habiter
nos ténèbres (assumer l’inacceptable) et d’apprivoiser
ainsi notre mort.
Il n’y a pas de liberté ni de joie possible tant que la mort
nous guette à l’horizon de la vie. Tout est marqué
par l’éphémère et le manque de plénitude.
L’angoisse de la fin est à l’origine de nos peurs multiples
au quotidien. Et comme nous les refoulons à longueur de journée,
nous vivons dans l’atmosphère de la mort, elle est notre
ambiance plus ou moins inconsciente, dont l’extraordinaire symptôme
est notre tristesse habituelle… Ce que nous appelons la «
condition humaine », le tragique existentiel, n’est autre
que la pénombre du tombeau… Mais cette tristesse même
est un cri de l’être qui jaillit de nos profondeurs ténébreuses
pour nous dire : fais de la mort ton amie et tu vivras !
C’est
pourquoi les Pères du Désert ont si solidement implanté
dans la Tradition le souvenir incessant de la mort. Que toujours la pensée
de la mort se couche avec vous et avec vous se réveille, écrit
saint Jean Climaque (VII°siècle). Et Hésychius précise
un peu plus tard : Ce souvenir détermine l’exclusion de tout
vain souci ; la garde de l’esprit et la prière constante,
le détachement du corps, la haine du péché, à
vrai dire toute vertu agissante naît de la mort. Pratiquons-la,
s’il est possible, comme nous respirons. De même encore ce
géant de l’ascèse, Evagre le Pontique : Le moine (le
laïc chrétien) doit toujours se comporter comme si demain
il allait mourir.
Ceux qu’on appelle dans la Tradition hindoue les « libérés
vivants » sont avant tout libres de la mort. Le prodigieux rayonnement
d’un Ramakrishna, Ma Anandamoy, Ramana Maharshi ou Aurobindo…
c’est la transparence, à travers leur corps même, de
la Vie qui ne rencontre plus aucun blocage en eux. Le vrai maître
spirituel se reconnaît à cela. Chez lui, la Vie circule à
plein.
Cette lumière et cette Vie, c’est la présence du Christ
ressuscité, qui a vaincu la mort par sa mort. Son éblouissante
beauté illumine tous les saints. Séraphin de Sarov (XIX°s)
était comme un soleil, il appelait la mort « ma grande allégresse
», François d’Assise, si connu pour sa joie de troubadour,
chantait la mort comme une « sœur » avec laquelle il
fraternisait au coeur même de son agonie. Et quelle liberté
face à la mort manifestait sainte Thérèse d’Avila
quand, à chaque heure qui sonnait, elle se réjouissait de
voir bientôt sa fin ultime ! Cela lui conférait un dynamisme
et une fécondité légendaires…
On aurait tort de croire que cette conquête de la mort soit réservée
aux cercles religieux… Chacun de nous a pu au moins pressentir un
peu de cette même fascination en écoutant certains chefs-d’œuvre
de Mozart. On y ressent avec puissance ce que peut signifier la libération
de la mort, comme si, ne serait-ce que pendant quelques mesures fulgurantes,
on était emporté tout à coup au-delà de ces
opposés « vie-mort ». Si Mozart sait nous emmener à
ce point dans les sphères célestes, c’est que son
propre chemin spirituel l’a conduit jusque-là. Quatre ans
avant sa mort il écrit, en effet, une lettre célèbre
à son père : Comme la mort, quand nous y regardons de près,
est le but véritable de notre vie, je me suis si bien familiarisé,
depuis quelques années, avec cette véritable et parfaite
amie de l’homme, que son image non seulement n’a rien d’effrayant
pour moi, mais encore m’est devenue très apaisante et très
consolante. Et je remercie mon Dieu de m’avoir accordé cette
occasion de la connaître comme la clé de notre félicité.
Je ne vais jamais me coucher sans penser que demain peut-être je
ne serai plus là. Et pourtant aucun de ceux qui me connaissent
ne peut affirmer que je suis morose ou mélancolique. Je remercie
mon Créateur de m’avoir accordé cette félicité,
et je la souhaite de tout mon coeur à chacun de mes semblables
La
familiarité avec la mort… clé de la félicité.
L’inouï de ce propos transperce à maints endroits de
sa musique, lorsqu ‘elle nous communique l’ivresse de son
auteur, le dynamisme d’une jeunesse étrange parce que son
âge n’est pas de ce monde. On est plongé dans une sorte
de méta-temps qui est notre propre profondeur, où gît
l’appel à faire de notre vie la même musique. En fait
il n’y a rien à « faire », mais apprendre à
« laisser se faire », car c’est Dieu qui est musique.
Mozart ne fait que transcrire ce qu’il perçoit. Notre vie
ne devrait être que la transcription, jusqu’au moindre geste,
du Vivant. Vivre, c’est le Christ (Phil. 1,21). Faire la vaisselle
ou balayer un couloir peut être alors la plus belle des symphonies
qui m’accorde au chant de l’univers. En son fond la vie est
un chant que l’on chantera même le jour de mon enterrement.
Mais il faut l’apprendre…
Tous ces maîtres et saints nous disent qu’on apprend le chant
de la vie en chantant la mort. Vivre constamment la mort, c’est
lui ôter le masque de l’horreur et vivre en ressuscité.
Il s’agit d’un style de vie révolutionnaire où,
sachant que je vis mon dernier jour, l’existence prend tout à
coup un relief inattendu, une « grandeur » comme dit Pascal,
chaque parole, chaque geste portent un caractère ultime et dévoilent
en leur fond une capacité d’infini, une densité et
une plénitude inaccessible aux gens « habitués ».
Le
« souvenir » constant de la mort, selon les Pères,
nous permet ainsi, de laisser mûrir progressivement en nous sa signification
profonde, son mystère abyssal. Avec ce travail sur soi on accède
à une vraie connaissance, dont finalement le beau vieillard détient
seul le secret. Carl Jung, grand explorateur des labyrinthes de l’âme,
rejoignait les Anciens en affirmant que la vie ne se développait
plus, à partir de la quarantaine, chez les personnes qui n’acceptaient
pas de mourir. Est de plus en plus vivant celui qui s’accepte de
plus en plus mourant. Cela, parce que la mort n’est pas destruction
mais transformation. Il s’agit d’un processus continuel et
fluide qui commence à la conception et ne se terminera pas à
la fin de l’existence. Même après la mort du corps
charnel ce processus se poursuivra jusqu’à notre complète
déification.
Celui
qui n’a pas intégré ce devenir, ce changement, au
point de s’identifier à lui, d’être un avec le
changement, de l’épouser dans une alliance nuptiale avec
le temps, celui-là va bloquer la vie dans son essence même
: ce désaccord avec la Vie joyeuse et dansante est à l’origine
de nos angoisses qui se crispent alors sur le passé, momifient
une certaine « jeunesse » et empêchent l’avènement
du vieux sage radieux, portant déjà les fruits de nombreuse
mutations et se réjouissant profondément de l’ultime
surprise qui l’attend…
Selon Jung, ne pas voir dans la mort le but de la vie est la perversion
de la culture humaine. On ampute la vie de sa source : la mort. Vivre
la mort comme le but d’aujourd’hui, c’est se décrisper
dans tout son être et lâcher-prise pour accueillir la nouveauté
absolue. Alors seulement l’amour est possible, l’amour sans
condition. Aimer, c’est mourir, et mourir n’est donc en rien
étranger à celui qui aime… IL entre dans un pays qui
lui est familier.
Seule
une ferme détermination dans cette longue marche annonce dès
maintenant la grâce d’une nouvelle naissance pour chacun,
à Noël.
Avec
toute notre affection, à bientôt !
Père
Alphonse et Rachel
Texte
à méditer :
«
L’attente
est pour chacun de nous celle d’une Présence qui ne cesse
pas d’advenir, pour aller jusqu’au fond mortel de notre
vie, l’assumer et l’ouvrir sur l’illimité.
Toute vie d’homme est un Avent sans cesse renouvelé et
aussi toute l’histoire de l’humanité dans sa quête
de justice, de beauté, d’amitié. La conscience se
fait toujours plus aiguë de l’absence et de la présence
de « Celui qui vient » : à travers la joie et la
peine, à travers le bien et le mal, car, disait Angelus Silesius,
« même si Jésus était né mille fois
à Bethléem, en quoi cela me concernerait-il s’il
ne naissait aussi en moi ? » A condition de mener, au plus profond
de l’âme comme dans l’histoire des hommes le grand,
l’humble combat de la patience et de l’espérance,
oui, le combat de l’Avent.
Olivier
Clément
Prière
Viens,
Lumière de Lumière, Orient de l’Orient, pour communiquer
la vérité à ceux qui sont assis dans les ténèbres
et l’ombre de la mort.
Viens T’incarner de la Vierge, Verbe Créateur, pour éclairer
la créature par Ta divinité.
Viens, consubstantiel au Père et à l’Esprit, Dieu
inaccessible, pour Te manifester dans la substance humaine, ô Emmanuel.
Extrait des laudes
de l’Avent
Sessions en cours à Béthanie
Du
18 et 19 novembre : « La souffrance
et la mort » avec Annick de Souzenelle. Comment traverser
l’essence de la vie dans ses plus grandes interrogations
info
Les
25 et 26 novembre : « Retraite de l’Avent
» plonger dans le recueillement pour accueillir l’extraordinaire
grâce d’une nouvelle naissance à Noël
info
Les
2 et 3 décembre : « L’étonnante
pratique de la louange » , la louange et l’action de
grâce sont les « lieux » de rendez-vous entre Dieu et
l’homme. Quand le coeur de l’homme s’accorde au chant
de la création, Dieu s’y précipite.
info
Du
26 au 31 décembre: « Méditation
et Sagesse du corps » une initiation pour un changement
radical. La pratique d’un autre style de vie.
info
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