Gorze,
février 2011

Photos Aurore (cliquer pour agrandir)
Chers
Amis,
Dans
l’épaisse grisaille de ce mois de février, n’oublions
pas sa pointe d’humour et d’amour : la fête de
la saint Valentin ! Une ombre forte cache toujours un soleil brûlant…
C’est celui de l’Amour partout présent et qui
remplit tout ! L’occasion est unique pour publier notre livre
: « La mystique du couple », en germination depuis que
Rachel et Alphonse s’aiment…cela fait quarante ans !
Il vient de paraître aux éditions Lethielleux (Paris).
Nous vous en offrons en prémices ces quelques lignes :
Ce
qu’est l’amour au sein d’un couple, personne ne
l’a encore dit et sans doute ne le fera-t-on jamais…
Ce n’est pas un objet sur lequel on disserte, mais une expérience
dans laquelle on entre. Seul celui qui en prend le Chemin peut descendre
dans l’abîme de son mystère, mais celui-là
se taira. S’il risque une parole, même s’il la
porte à la limite de l’indicible, par exemple par le
chant ou le poème, jamais il ne lui sera possible de dévoiler
l’essence de l’amour mais seulement son rayonnement.
Ce
rayonnement lui-même est d’étrange sorte, il
n’a pas les caractéristiques de la lumière d’ici-bas.
La mystique juive dit que l’autre, dans le couple, c’est
la Shekhina, la gloire de Dieu. Le regard contemplatif voit alors
au-delà des apparences de l’autre, toujours passible
de nos jugements, la présence du Tout-Autre. L’amour
illumine le cœur de l’être aimé et cette
révélation ouvre à une connaissance jamais
achevée. « Connaître », au sens biblique,
est en effet synonyme de naître à l’autre, lui
devenir intérieur, l’épouser et tirer de son
innocence originelle l’inédit et le jamais vu, la Beauté
inaccessible à la concupiscence de l’éros ou
au romantisme si éphémère. Là est le
vrai visage de l’autre, son visage d’éternité.
Devenir assez transparent pour communier à cette profondeur
où on découvre la secrète convivialité
de l’autre avec Dieu, sa source la plus intérieure,
c’est le tout de l’ascèse au sein d’un
couple.
Si
la reconnaissance (connaître et jubiler) du vrai visage de
l’être aimé a une répercussion aussi inouïe
sur celui qui le contemple, on ne parle pas pour rien d’un
coup de foudre, c’est parce qu’il provoque soudain un
face-à-face où chacun est révélé
à lui-même au cœur de la Source commune. Cela
personne d’autre ne peut le voir, c’est précisément
le poids de gloire que portent en eux les initiés de l’amour.
Mais
s’il n’y a pas, sous-jacent, le dur labeur de l’ascèse,
la vision s’efface, engloutie par l’usure du temps,
l’ennemi mortel du quotidien, le rejet à la surface
de la face des profondeurs profanées par la banalisation.
Celle-ci n’a pas de limites et le risque du mariage sans chemin
spirituel, c’est d’ouvrir le gouffre infernal de la
destruction réciproque. A regarder les couples, on n’a
pas de mal à s’accorder rapidement sur ce point…
L’enfer est devenu leur pain quotidien, un « sérieux
déplorable » les a définitivement castrés.
Soren Kierkegaard, ce grand philosophe du siècle dernier,
pensait que le mariage était un assoupissement de mort. Par
l’amour d’une jeune fille, dit-il, on devient génie,
héros, poète ou saint, mais par le mariage d’une
femme on devient conseiller de commerce, général,
père de famille… Le roi de Mésopotamie s’est
marié et maintenant il est épicier à Copenhague.
La
grâce du sacrement de mariage relève justement ce défi-là
: par elle l’épicier de Copenhague garde non seulement
sa royauté, mais il en découvre son infinie majesté.
La femme, elle, ne garde pas une beauté de jeune fille, très
vite flétrie, mais s’achemine vers la virginisation
de son être et naît à l’éternelle
jeunesse, lieu de toute fécondité, que l’on
soit poète ou conseiller de commerce !
Le
but de l’homme n’est pas de devenir génie ou
héros « par la grâce d’une jeune fille
», mais de devenir dieu par un co-être avec la femme.
Dès l’origine, Dieu crée l’Homme dans
une consubstantialité conjugale, homme et femme, une seule
chair, pour être à Son image. C’est la tentation
démoniaque qui a introduit la scission. Maintenant, depuis
la chute, le sens du couple c’est de redevenir une seule chair,
une nature en deux personnes, comme Dieu est une nature en trois
personnes. Cette union des deux époux jusqu’à
la ressemblance avec Dieu fait que leur chemin est un témoignage
vivant de la gloire divine. Leur amour est un rayonnement de cette
gloire (Jn 17,22-23), une théophanie, manifestation de Dieu,
car que deux ou trois, en effet, soient réunis en mon nom,
je suis là au milieu d’eux (Mt 18,20).
Le
« milieu », c’est la relation des amoureux, dans
l’intimité des deux la présence du grand Troisième.
Quand le couple est sans amour et sans chemin spirituel, la relation
est un vide dans lequel la chute originelle se réitère
sans cesse, géhenne de leurs défaillances, chambre
des tortures réciproques. Mais dès que, par la prière
et l’amour, la Grâce s’active, la relation c’est
Quelqu’un au « milieu » des deux, mais aussi au
« milieu » du cœur de chacun. Aimer, c’est
donner son cœur, mais c’est donc aussi en même
temps donner Dieu l’un à l’autre. Ce n’est
qu’à ce contact brûlant que les poisons et le
fiel de la condition infrahumaine et si souvent bestiale du vieil
homme sont progressivement évacués.
L’amour
devient alors un chant secret qui liturgise toute la vie des amants
: tout dans leur vie est sacrement, cela veut dire que le Christ
est présent et s’exprime dans tout geste, dans le regard
de l’un vers l’autre, le sourire, la parole, une caresse…
En
somme le couple, puisqu’il est à l’image de Dieu,
apprend à tout homme, qu’il soit célibataire
ou marié, la seule manière de vivre en plénitude
: découvrir et épouser le Féminin de son être
intérieur. Le mariage en est un Chemin, le célibat
en est un autre. A chacun sa vocation pour exprimer sa vérité
la plus profonde : les épousailles mystiques.
Avec
toute notre affection, à bientôt !
Père Alphonse et Rachel