Chers
Amis,
Si
nous n’avons pas encore l’expérience concrète
de Dieu dans notre vie, peut-être est-ce parce que la
musique n’y trouve pas sa vraie place ? Dans le principe
est le Verbe, dit saint Jean. Le Verbe est son. C’est
avec lui et par lui que tout est créé. Cela nous
est révélé dès le début de
la Bible : Dieu dit et tout surgit de ce son, du Verbe primordial
(Gn 1,3). Tout ce qui existe, le moindre grain de poussière,
s’origine dans le son, est tissé par le son formé
par lui, à commencer par l’homme lui-même.
A
en croire le résultat des expériences d’un
laboratoire d’acoustique californien, le son et la lumière
seraient identiques C’est un même phénomène
vibratoire, uniquement distinct parce qu’il se manifeste
à partir de supports différents. Cela est proprement
prodigieux ! En effet, nous ne sommes pas loin de comprendre
le rôle initiatique du son sur l’illumination d’un
être, à quel forage mystique peuvent nous conduire
les grands chefs-d’œuvre de la musique !
Si
on chante et fait de la musique dans tous les temples spirituels
de l’humanité, c’est que l’on a toujours
éprouvé, depuis les origines de l’histoire,
l’impact puissant et mystérieux du son sur l’homme.
La science nous apprend maintenant que le cosmos tout entier
est un Temple et que nous vivons littéralement «
dans un bain acoustique » où le silence lui-même
est la modulation d’une harmonie inaudible.
Saint
Maxime le Confesseur, au VIIème siècle, parlait
déjà d’une véritable « liturgie
cosmique ». Le son primordial est un incessant producteur
d’énergie. Comme manifestation du Verbe, il travaille
toujours (Jn 5,17) : constamment les forces créatrices,
qui animent le cosmos, traversent l’homme sous forme de
fluides pour l’informer et le structurer. Tout l’univers
est construit par ces vibrations, mais seul l’être
humain, grâce à sa conscience, peut entrer avec
elles dans une relation de réciprocité. Quand
on parle de conscience ici, il ne s’agit pas du mental,
mais d’une conscience sensorielle, où le corps
tout entier est impliqué comme expression de la totalité
de l’homme, inséparablement corps-âme-esprit.
L’écoute
est donc l’attitude fondamentale de l’homme, elle
est ontologique, c’est-à-dire elle fait qu’un
homme soit un homme. S’il est vrai que le son tisse l’homme
à chaque instant, ce n’est que par l’écoute
de ce qui est ancré ainsi au tréfonds de son noyau
vital qu’il entre en communication avec la Source de son
être. Vivre c’est écouter. L’écoute
et la conscience sont une et même réalité.
Là se trouve le Chemin de l’homme et sa capacité
de métamorphose.
Nous
sommes ainsi devant l’évidence que l’écoute
est l’acte spirituel par excellence de l’homme.
L’oreille perçoit le Son qui est au-delà
de tout son et expérimente alors la dimension non conditionnée.
Cette écoute est un recueillement dans les profondeurs
de l’être, où l’on accueille ce qui
est entendu pour s’en laisser pénétrer.
La pénétration réciproque est le propre
de l’amour. Quand je suis toute oreille et que j’écoute
avec mon corps entier, je laisse pénétrer Dieu
en moi, et mon tréfonds le plus secret entre mystérieusement
en résonance avec Lui. Là est mon refuge personnel
où je suis réellement « chez moi »,
un avec mon être et Celui qui m’engendre. Je me
situe à mon point de jaillissement.
Il
n’y a rien qui donne à l’homme, même
le plus areligieux ou ignorant tout, autant de bonheur que la
musique. Ne faisons pas de différence entre musique et
chant ici, car le chant est une musique où l’homme
lui-même se fait instrument, et inversement la musique
est une voix : elle est la voix de l’univers sonore, la
voix de l’humanité, partie intégrante de
notre existence.
Là
où il y a musique se concentre l’harmonie de l’univers
entier. La musique relie les fréquences qui nous habitent
avec celles qui vibrent dans le cosmos à des millions
d’années lumière. Le son pénètre
directement dans notre corps, puisque la matière est
elle-même vibration ; rien ne peut toucher autant notre
vie intérieure que ce dont est capable l’ouïe.
Celui
qui, un jour, a été touché par une telle
expérience de l’Etre en gardera à jamais
les traces et la nostalgie, il n’en finira plus de se
laisser conduire par la musique là où personne
ne l’a encore conduit. Il sait désormais que l’Invisible
est audible et qu’Il se manifeste au fond de lui par un
royaume de Lumière.
Il
faut faire l’apprentissage du mystère musical :
d’abord traiter un morceau comme un mantra, en l’écoutant
de nombreuses fois. Cette musique va alors se frayer un chemin,
traverser les couches de notre conscience, descendre dans le
subconscient et l’inconscient. De là on peut l’entendre,
où que l’on soit, et fredonner la mélodie.
Lorsque
nous accorderons à la musique autant d’intérêt
qu’à la lecture d’un livre sérieux,
si nous acceptons de nous offrir à elle et de nous y
investir, elle cessera de n’être qu’un divertissement
marginal et fera sa percée jusqu’au lieu où
elle naît à chaque instant : notre être profond.
La puissance de la musique exerce donc un immense travail de
purification, sur l’univers de nos passions, précisément,
toutes ces dépendances qui mettent l’homme en exil
et lui font porter les masques de son esclavage.
Progressivement
une transparence se crée en nous et nous devenons de
plus en plus sensibles à cette Présence qui est
l’arrière-plan de toute musique véritable.
Nous assistons à l’éveil d’une nouvelle
conscience, qui est en réalité une réciprocité
des consciences divine et humaine : en nous conduisant jusqu’au
noyau de notre être, au mystère de notre identité,
la musique nous plonge en Dieu, d’où notre personne
jaillit à chaque instant comme le ruisseau d’une
source. Les sonorités se taisent, la musique a atteint
son but : nous sommes dans le grand « Je suis »
silencieux, qui englobe tout et révèle le contenu
de notre propre profondeur. Nous avons découvert nos
racines d’éternité en nous et sentons comment,
autour de nous, l’infini s’inscrit dans le fini
des choses.
Cela
montre bien, comme les Pères l’ont toujours considéré,
que la musique est d’essence divine et qu’elle propose
à l’homme un chemin de divinisation. Pourquoi cette
puissance de la musique ? La réponse à cette question
constitue la trame sous-jacente à toute la Bible. C’est
parce que « au milieu même » de la joie, à
l’intérieur même de la louange et de la jubilation,
se révèle la Face de Dieu.
L’expérience
des ténèbres et de la joie dans l’écoute
de la musique n’est autre que le Christ mort et ressuscité
qui nous entraîne dans son sillage. Puisse chacun faire
cette fabuleuse découverte qui change une vie…
Avec
toute notre affection, à bientôt !
Père Alphonse et Rachel
Texte
à méditer
Après
avoir pris avec tant d’ardeur d’autres chemins
dans la recherche de la rédemption, de l’oubli
et de la libération, après avoir si passionnément
désiré Dieu, la connaissance et la paix, j’ai
trouvé tout cela seulement dans la musique.
Hermann
Hesse (Prix Nobel)
Prière
Louez Dieu dans son sanctuaire,
louez-Le au firmament de sa puissance.
Louez-Le pour ses hauts faits,
louez-Le pour sa grandeur infinie.
Louez-Le aux sonneries du cor,
louez-Le par la cithare et la harpe.
Louez-Le avec tambour et danses,
louez-Le avec cordes et flutes.
Louez-Le avec les cymbales sonores,
louez-Le avec les cymbales d’ovation,
que tout ce qui respire loue le Seigneur !
(Psaume
150)