Lettre n°222 - De la pratique spirituelle...
- centre béthanie
- 15 mai
- 6 min de lecture

Gorze, mai 2025
Chers amis,
De la pratique spirituelle...
Commençons par le commencement ! Le « repentir ».
Il marque le point de départ de notre voyage. C'est un mouvement permanent de retour à soi... une sorte de « reprise en main » d'une manière « d'être là » qui favorise l'ouverture aux qualités de l'Être auquel nous participons.
Cette « metanoïa », terme grec qui signifie « conversion », cette metanoïa nous éveille peu à peu à la vraie vie. Elle est donc éminemment positive, même si nous sommes amenés à traverser des zones de turbulences en nous qui sont la conséquence de notre « péché », c'est à dire de notre éloignement de la Source de vie en nous.
Nous sommes invités à nous « repentir » comme nous respirons : mouvement incessant de retour à soi pour se « reprendre » et revenir comme le fils prodigue vers la maison du Père. Saint Isaïe de Scété(1) disait : « Dieu exige que nous nous repentions jusqu'à notre dernier souffle. » Ce mouvement permanent s'enracine dans la deuxième qualité spirituelle, qui est la « vigilance ».
En grec c'est le mot « nepsis » qui peut se traduire aussi par sobriété, attention, recueillement. Quand le fils prodigue se repentit, il est dit dans le texte de saint Luc « qu'il rentre en lui-même. », qu'il se « re-cueille » si l'on peut dire... L'homme neptique est celui qui rentre en lui-même, celui qui découvre l'intériorité, c'est à dire son cœur profond et là il fait l'expérience d'une plénitude, d'un sens, d'une puissance qu'on appelle l'« Agape » traduit par « amour inconditionnel ».
Être vigilant, c'est être « présent au présent », c'est à dire présent à la Source de vie, ici et maintenant, et c'est alors un présent de Dieu au sens de « cadeau ». Celle ou celui qui vit vraiment au présent n'est pas inquiet : il est dans les bras du Père.

« Celui qui demeure toujours dans la présence du ici et maintenant, c'est en lui que Dieu engendre sans cesse son fils. » dit maître Eckhart.(2) Pour l'homme neptique, le moment présent est un sacrement. Dans le mouvement du repentir et dans la vigilance du moment présent nous pouvons recevoir la grâce du discernement. En grec : « diakrisis », c 'est à dire « sens spirituel du goût ». Le discernement permet de nous orienter et de distinguer entre les diverses pensées et impulsions qui bien souvent nous assaillent. C'est ainsi que l'on s'exerce à veiller sur son cœur, d'où la « garde du coeur ». « Plus que toute chose, veille sur ton cœur. » dit le livre des Proverbes. Il s'agit, rappelons-le, du cœur qui est le centre spirituel de l'être humain et non seulement le lieu de nos émotions et sentiments. C'est le sanctuaire intérieur, le trône de Dieu en nous. La garde du cœur suppose la lutte des passions, non pas « contre » les passions mais « avec » les passions.
Les passions sont des énergies fondamentalement bonnes qui ont été désorientées par le péché. Le but de la lutte est de les intégrer et de les ré-orienter dans la bonne direction. Il s'agit d'énergies vitales. Le travail est un travail d'alchimiste : transformer le plomb en or. Cette ascèse vivifiante nous amène à ce qu’Evagre le Pontique(3) appelle « l'apathéia ». Cela signifie que l'on progresse de l'instabilité à la stabilité, de l'immaturité à la maturité, de la peur à la confiance...
Nous devenons capable d'aimer vraiment.
« La profondeur de l'homme est dans sa puissance d'accueil sans condition. Celui-là est libre de tous ses désirs et plus rien en lui ne vient arrêter la puissance créatrice de Dieu qui fait de lui ce qu'Il veut. » (Père Alphonse Goettmann)(4)
Commençons donc par le commencement... Pratiquons encore et encore l'intensité de la vigilance permanente. Cette vigilance est proportionnelle à la détente du corps. Bien souvent nos corps sont des prisons qui nous coupent du souffle vivifiant de la vie et nous encapsulent sur nous-même. Nous sommes invités à nous « relaxer » comme on peut d'ailleurs relaxer un prisonnier...
Le corps et l 'âme respirent ensemble et toute action sur le corps a une répercussion sur l'âme et inversement... En toute circonstance « Tiens-toi droit et sourit » disait Lanza Del Vasto.(5) Cette « dignité » corporelle de la verticalité nous rappelle à notre vocation première : relier le ciel et la terre et devenir les « pontifes » de la création, ceux qui célèbrent la venue à chaque instant du royaume de Dieu et font de notre création un nouveau paradis.
Avec toute mon affection en Christ !
Père Francis
Notes :
1. Isaïe de Scété, moine égyptien, fin du 5eme siècle, père spirituel.
2. Théologien et philosophe allemand, (1260-1328), principal représentant du courant spirituel catholique qu'on a appelé la mystique rhénane.
3. Moine du IVe siècle ayant vécu dans le désert d'Égypte ; il fut le premier qui systématisa la pensée ascétique chrétienne.
4. Fondateur du centre spirituel de Béthanie en Lorraine (1935-2020).
5. Il fonde les Communautés de l'Arche axées sur la vie intérieure et la non-violence active. Disciple de Gandhi qui lui donna le nom de Shantidas, qui veut dire « serviteur de la paix » (1901-1981).
Prière de repentance pour la création
Seigneur Jésus-Christ notre Dieu, Fils unique et Verbe de Dieu, dans le principe c’est Toi qui, avec le Père céleste et l’Esprit vivificateur, créas le ciel et la terre et tout ce qu’ils contiennent : les créatures visibles et invisibles. Regarde du haut de ta demeure céleste et vois la souillure et les souffrances de tes créatures les oiseaux, les bestiaux et les poissons des fleuves et de la mer. A cause de nos péchés, la terre elle-même et les eaux qui l’entourent et la fécondent, sont polluées et corrompues.
Prends en considération l’innocence de tes créatures les animaux, les fleurs, les arbres et ces pierres qui crièrent de douleur lors de ta crucifixion. Souviens-toi également du sang des martyrs et des saints corps des baptisés qui reposent près d’ici et dans ton monde entier : ce sang et ces corps ont sanctifié la terre et toute ta création, depuis le sang d’Abel notre père jusqu’au tien, ô Maître, et à celui des innocents et des saints de notre temps. Souviens-toi de tous ceux qui font le bien, les artisans de paix, ceux qui se sanctifient en ton saint Nom à chaque heure de leur vie. Souviens-toi de tes serviteurs qui eurent la confiance de tes créatures et les nourrirent de leur propre main, et particulièrement de saint…
A cause d’eux, prends pitié de nous et pardonne-nous tous les péchés que nous avons commis à l’encontre de ta création visible et invisible. Toi qui as purifié l’élément de l’eau par ton baptême dans le Jourdain, la terre par ton ensevelissement de trois jours, le feu par la lumière de ta résurrection et l’air par ta glorieuse ascension, purifie-nous également nous tes serviteurs indignes et pécheurs des passions qui blessent ton monde : la convoitise, la rapacité, la voracité, l’amour égoïste du plaisir, l’idolâtrie, la domination, et toutes les fautes par lesquelles nous avons perverti notre royauté et notre sacerdoce paradisiaques. Par les saintes prières de nos pères daigne maintenant purifier et sanctifier ces éléments de l’eau, de la terre, du feu et de l’air qui porte notre prière indigne.
Bénis également et sanctifie les fruits, symboles de la générosité de la terre à notre égard. Et, quand nous en consommons pour le soutien de notre vie, inspire-nous la sobriété et le respect à l’égard de tes créatures, car Tu es le Seigneur de toutes tes créatures, ô Christ notre Dieu, et nous te rendons gloire, honneur et louange avec ton Père et ton très saint, bon et vivifiant Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles : Amen !
Texte à méditer
"Esprit nouveau", conversion, recentrage, le repentir est quelque chose de positif et non de négatif. Comme l'écrit saint Jean Climaque (+ env. 650) : "La pénitence est la fille de l'espérance, et le renoncement au désespoir." Le repentir n'est pas découragement, mais attente ardente ; non pas sentiment d'être dans une impasse, mais d'avoir trouvé une issue ; non pas haine de soi, mais affirmation de son vrai "moi" fait à l'image de Dieu. Se repentir, c'est regarder non pas vers le bas, vers ses imperfections, mais vers le haut, vers l'amour de Dieu ; non pas en arrière, avec les reproches qu'on se fait, mais en avant, avec confiance. C'est regarder, non pas ce qu'on n'a pas réussi à être, mais ce qu'on peut encore devenir par la grâce du Christ.
Métropolite Kallistos Ware, (1934-2022)