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Clara Thiel

Lettre n°200

Gorze, Mai 2023


Chers amis,


Lors de la dernière lettre de Béthanie, père Francis terminait son propos en évoquant la prière de Jésus « chemin privilégié vers le cœur, perle précieuse de la tradition hésychaste » et je voudrais rebondir maintenant en tentant de donner une traduction ou plutôt un sens à ce mot d’hésychaste. Ce mot vient du grec « hesychia », c'est un mot que l'on pourrait traduire par « paix, silence, repos », peut-être aussi « tranquillité du cœur ». La traduction est un art délicat qui peut confiner à la trahison. Il faut donc faire très attention ici à ne pas privilégier un seul de ces sens. Ainsi, si nous utilisons le mot « repos », juste en soi, il ne doit pas évoquer le sommeil. Au contraire la tradition hésychaste est active, c’est une tradition de l’éveil et de la vigilance. Si on emploie le mot « paix », seul, c’est aussi trompeur car l’hésychasme nécessite un rude combat ! Enfin on peut se demander où est le silence lorsqu’il s’agit de répéter la formule « Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur ». Voilà pourquoi la tradition a préféré garder précieusement ce mot grec un peu étrange d’hesychia. Il est irremplaçable ! Alors qu’est-ce que l’hesychia ? Qu’est-ce qu’on entend vraiment par là ? Un court passage de l’Évangile (Luc 4, 28 à 30), peut nous faire comprendre ce qu'est en vérité l'hesychia. Jésus est au début de sa vie publique. Il entre dans la synagogue de Nazareth et est appelé à lire le rouleau de la Torah et à le commenter selon la coutume juive. Mais le commentaire passe mal, le message n’est pas reçu, « Ils furent tous remplis de colère dans la synagogue lorsqu'ils entendirent ces choses, et s'étant levés, ils le chassèrent de la ville et le menèrent jusqu'au sommet de la montagne sur laquelle leur ville était bâtie, afin de le précipiter en bas. Mais Jésus, passant au milieu d'eux, s'en alla. » Cette dernière phrase est tout à fait significative de notre propos, et nous montre que l’hésychasme est d’abord une attitude. L'hésychaste, celui qui cherche à vivre dans la paix du cœur, dans la tranquillité, trouve son modèle dans cette attitude de Jésus. Il est agressé, contesté, violenté, mais passe au travers de cette foule, sans rien dire, sans montrer aucune agressivité. Sa réponse à l'agressivité de l'entourage est un cœur baigné d'hesychia.


Or cette attitude du Christ se retrouve constamment au long de l’Evangile. Par exemple pendant l’épisode de la tempête sur le lac de Galilée ! Jésus dort au milieu des apôtres qui sont affolés par la mer et sa violence, et quand les apôtres le réveillent, Lui sans s’émouvoir, par son verbe, calme les éléments. On retrouve aussi cette attitude hésychaste lors de son arrestation au jardin de Gethsémani : Pierre dégaine l’épée mais Lui répond : « qui cherchez-vous, me voici. » Ou lors de ses interrogatoires par Pilate ou Hérode, qui sont intéressants à relire. Le Christ nous montre un être totalement libre, sans conditionnement extérieur, rempli d’amour, hésychaste.

C’est à partir de la contemplation de cette manière d'être du Christ pendant sa vie que les premiers chrétiens, et ensuite les premiers moines, ont cherché à acquérir cette hesychia qui est paix silencieuse, tranquillité du cœur, ancrage et amour. Les premiers martyrs étaient dans cet état d’hesychia.

Regardons saint Etienne pendant sa lapidation ou saint Ignace d’Antioche dans sa marche vers son exécution à Rome ou sainte Blandine face aux fauves à Lyon. Ils étaient remplis de l’amour de Dieu, et cet amour leur donnait la paix, l’ancrage et la tranquillité dans l’épreuve.

Après le temps du martyr, au début de la « mondanisation » de l’Eglise, les premiers moines, les premiers ermites, au IVe siècle, partirent dans le désert pour chercher Dieu, pour chercher le Vivant qu’ils ne trouvaient plus en eux avec la même intensité qu’auparavant. Et là nous voyons clairement non plus les effets mais le but de l'hésychia : la rencontre avec le Tout Autre et l’expérience de Sa présence.

L'hésychaste est donc un homme de désir. Son cœur est rempli du désir de Dieu, et, pour cela, il va chercher comment libérer son cœur de ses pensées, de ses passions pour rencontrer son Créateur. Ces premiers moines partent dans le désert et cela est significatif. Le désert est le lieu du retrait, le lieu du silence. Il est opposé, d'une certaine manière, à la cité turbulente et multiple. Cette solitude, cet isolement sont nécessaires pour être seul avec le Seul. La rencontre avec le Vivant nécessite dans un premier temps de faire table rase de tout ce qui encombre à l’extérieur et à l’intérieur.

Nous ne pouvons pas rencontrer le Tout Autre dans l'agitation. Cela nous est dit clairement dans certains textes de l'Ancien Testament. Dans le 1er livre des Rois, Dieu dit au prophète Élie : « Sors et tiens-toi dans la montagne devant YHWH. » YHWH c’est le tétragramme, le Nom de Dieu. « Et voici que YHWH passa. Et il y eut un grand ouragan, si fort qu'il fendait les montagnes et brisait les rochers, en avant de YHWH, mais YHWH n'était pas dans l'ouragan ; et après l'ouragan un tremblement de terre, mais YHWH n'était pas dans le tremblement de terre ; et après le tremblement de terre un feu, mais YHWH n'était pas dans le feu ; et après le feu, la voix d’un silence subtil. » (1 Rois 19,11-13). C’est là que Dieu était.

Cette réalité qu’est le Vivant, le Tout Autre, la Lumière vivante, Dieu, appelez-Le selon votre cœur, ne peut être rencontrée que dans le silence. C’est pourquoi l’hésychaste part dans le désert ou recherche la solitude intérieure, c’est-à-dire son désert intérieur. On parle toujours des moines du désert, mais il est bien évident que chacun peut vivre de cette tradition hésychaste, s'il désire rencontrer Celui qui habite sa profondeur.

Un homme ou une femme dans le monde peuvent être des hésychastes et certains ont été canonisés à ce titre, c’est-à-dire reconnus comme saints par l'Église. Nicolas Cabasilas au 14e s. était un juriste, conseiller politique de l’empereur, médiateur à plusieurs reprises sur des conflits. Il fait partie des grands hésychastes laïcs connus.

Ce mouvement hésychaste a rassemblé à ses débuts des communautés d’ascètes, des gens qui pratiquaient des exercices, c’est le sens du mot ascèse, pour parvenir à l’hesychia. Pourtant la voie de l’hésychasme n'est pas d’abord une méthode, comme il y a une méthode pour apprendre l'anglais, et comme existent toutes ces méthodes conduisant nécessairement à un résultat si elles sont bien appliquées. Non, l'hésychasme n’est pas de cet ordre-là. L'hésychasme, nous l’avons vu chez le Christ, est en fait une attitude, et ce n'est pas parce que le chrétien va se retirer dans le désert, ce n'est pas parce que le chrétien va fuir le monde, ce n'est pas parce que le chrétien va chercher le silence, qu'il va trouver automatiquement l’Au-delà au fond de lui-même.

Comprenez ce que je veux dire, ce n'est pas automatique, ce n’est pas magique. Il y a certes des conditions favorables, mais elle nécessite surtout une tension d'amour, un désir profond de la rencontre avec l’Au-delà de Tout. C’est dans ces conditions favorables et ce désir nécessaire que peut se mettre en place, au moment qui convient, quand Dieu le décide, une vie que l’on qualifiera d’hésychaste.

Le chrétien qui choisit cette voie hésychaste, va chercher à vivre alors dans le silence intérieur, à vivre dans un certain retrait, même au milieu de la foule et dans les conditions de sa vie quotidienne. Pour cela il va prier. Dans cette tradition on utilise alors ce que nous appelons couramment la prière de Jésus, forme de prière totalement liée à la tradition hésychaste.

Concrètement cette prière est la répétition de la formule : "Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi pécheur". C’est la formule la plus complète, la plus aboutie. Elle peut se simplifier en disant simplement "Seigneur Jésus Christ aie pitié de moi" ou encore plus simple " Jésus " ou en hébreu « Yeshoua ». On peut dire aussi comme les Grecs : Kyrie eleison, " Seigneur, aie pitié ". C'est toujours la même formule, plus ou moins développée, et quand elle est plus courte, elle sous-entend la formule plus longue et sa profession de foi.

Cette prière est un cri d'amour, car lorsque l'on s'aime, on aime à s'appeler par son nom. L'amour, nous le savons bien, passe par la parole, mais par une parole la plus dépouillée possible qui contient l’autre tout entier. Lorsque deux êtres se rencontrent, chacun veut dire sans cesse à l'autre qu'il l'aime, et le nom de l’aimé devient une litanie. Mais lorsque nous retrouvons ce couple à la fin de sa vie, si tout s’est bien passé, ils ne se disent plus rien, ils se regardent l'un l'autre. Leur amour se vit alors dans le silence, dans la paix, dans un cœur totalement dépouillé de soi.

Le chrétien est appelé à vivre cette expérience avec Dieu. Il faut qu'il se taise pour aller vers le silence et paradoxalement pour y parvenir il répète ce nom d'amour : Jésus. " Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu " est une déclaration d'amour. La voie hésychaste n’est pas une formule de prière ou une méthode mais elle est une attitude, un style de vie où la vie sacramentelle et ecclésiale, la purification des passions, la vigilance, l’humilité et surtout l’amour de Dieu et du prochain sont essentiels. La voie hésychaste est une voie de désir et de rencontre entre l’homme et son Créateur, c’est un chemin de déification car « Dieu est devenu homme pour que l’homme devienne Dieu » disent les Pères.

Avec toute mon affection en Christ !

Père Pascal


 


Prière


Seigneur Jésus-Christ, Verbe coéternel de ton Père sans commencement, Aie pitié de nous et sauve-nous ainsi que ton monde. Père Sophrony du Mont Athos

 

Texte à méditer

En tant que prière qui mène au silence, le but de la Prière de Jésus est donc de nous aider à arrêter de parler et de commencer à écouter. Le silence intérieur induit par l’invocation du Saint Nom crée chez l’hésychaste un espace dans lequel le Christ et l’Esprit Saint peuvent agir. Ainsi, je dépasse le stade dans lequel je dis « mes » prières pour entrer dans la prière du « Christ en moi » ; comme le dit Saint Paul : « ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi » (Ga 2.20). Evêque Kallistos Ware (1934-2022)


 


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